Un jour, un train:
Le train de marchandises défiait à son rythme les kilomètres infinis
de la sauvage amérique.
Mon compagnon de voyage, un certain Vlatsko, ronflait dans un coin tandis
que j'admirais les paysages abrupts que nous traversions.
L'air était lourd, asphyxiant, pénétrant de poussière, mais la vitesse
routinière du train faisait entrer un souffle tiède par la porte du wagon
restée ouverte.
Faute de mieux, c'était rafraîchissant.
De temps à autre, je taxais du tabac au vieux qui roupillait, et je me
demandais lequel de mes compagnons je retrouverais au nouveau- mexique.
Ginka avait sans doute accouché depuis des mois, Elijah s'était sûrement
fait coincer dans le train pour Denver.
Il m'a fallu près de 1000 bornes avant d'apercevoir une fille planquée
derrière un tas de caisses en bois.
Elle ne parlait pas un mot d'Anglais, mais j'ai cru comprendre qu'elle
était la fille, ou la nièce du vieux.
Quand elle a eu l'air de saisir que je ne lui ferais aucun mal, que
j'étais somme toute comme elle, elle s'est assise près de moi et on n'a
pas bronché pendant des heures, tous deux perdus loin dans la
contemplation des décors arides et la douleur de nos pensées secrètes.
Plus tard, le soleil a entamé sa descente sur l'horizon, et tout
flamboyant qu'il était, on aurait dit qu'il allait embraser le sable des
plaines.
J'avais soif.
J’avais faim.
J'ai sorti un saucisson que je traînais depuis New-York, et un paquet de
cacahouètes enrobées de caramel entamé.
La gosse a mangé de bon coeur. Moi aussi.
Mais les cacahouètes nous ont filé la soif qui crève, et j'étais prêt à
sauter du train en marche à la recherche d'un peu de flotte, quitte à
attendre le convoi suivant plusieurs jours d'affilée.
La môme a essayé de me dire des trucs en espagnol, mais quand elle a vu
que j'en pigeais pas une rame, elle a éclaté de rire.
Elle s'est levée, et j'ai pu voir qu'elle ne portait pas de culotte.
Elle a pointé du doigt les caisses derrière lesquelles elle s'était
dissimulée plus tôt.
Comme elle peinait à les ouvrir, et que ça avait l'air important pour
elle, je lui ai filé un coup de main.
Un nombre incalculable de bouteilles de Tequila en ont dégringolé sur le
plancher.
Elle m'a observé d'un air satisfait, et j'ai éclaté de rire à mon tour.
Je me suis jeté sur une des bouteilles, et en ai avalé plusieurs lampées
brûlantes sans m'arrêter.
Bon sang, ça arrachait la gorge.
La môme en a fait de même, et faut dire qu'elle avait une sacrée
descente, la petite.
On a regardé le soleil se coucher pour de bon, chacun une bouteille à la
main, et dieu sait qu'on était bien, la môme et moi...
A un moment, elle a pris ma main, et on est restés là comme des gosses
jusqu'à ce que les étoiles débarquent par milliers.
Le vieux dormait toujours.
L'alcool nous avait brûlé le sang, on avait le cerveau explosé, les sens
surchauffés, on a fait l'amour tout doucement, comme un frère et une
soeur.
C'était sa première fois.
Moi, j'aurais bien aimé que ma première fois se passe comme ça, et pas
avec une pute de Brooklyn, sérieux.
Alors j'ai décidé qu'à partir d'aujourd'hui, ma première fois, ça serait
avec cette fille, dans ce train de marchandises, passagers clandestins
avec l'Amérique comme décor.
L'aube s'est pointée et le train a stoppé en gare.
Le vieux était mort dans son sommeil, alors la môme et moi, on l'a tiré
discrétos du wagon, et c'était pas facile, parce qu'il était lourd de
gnôle, ce vieux; rempli comme une amphore.
Et la môme, elle était pas très épaisse, alors même si elle mettait
toutes ses forces, c'était moi qui me tapais tout le boulot.
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand on a fini de l'enterrer dans
un coin de désert.
Je mordais la poussière, j'avalais ma sueur par litres moites, et j'avais
même pas pensé à emporter une des bouteilles pour la route.
La môme et moi, on est repartis main dans la main à la recherche du
prochain train qui nous mènerait loin, plus loin dans la vie.
>> sarah gillessen
hommage à Jack kerouac, et à tous ceux et celles qui tirent leur vie
du voyage.
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